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Le mythe végétarien, nourriture, justice et pérennité

Je crois déjà entendre quelques grincements de dents à la lecture d’un tel intitulé. Aucune provocation pourtant, mais une invitation à prendre du recul par rapport à des discours et arguments extrêmes, parfois biaisés. Rédigé par Lierre Keith, une ex végétalienne convaincue, qui après 20 ans de pratique, a osé remettre en cause ses croyances et convictions, cet ouvrage n’entend pas justifier l’injustifiable, à savoir la consommation outrancière de produits d’origine animale et la cruauté des élevages intensifs, mais s’attache tout simplement – et de façon posée – à remettre les pendules à l’heure grâce notamment à de multiples rappels sur les grandes Lois du vivant. Un ouvrage fort documenté pour réfléchir aux fondements de nos penchants estimés pourtant légitimes et justes puisqu’animés des meilleures intentions de respect. Pilule bleue ou pilule rouge ?

 

Ce que nous dit la 4e de couverture

« Il nous a été dit qu'un régime végétarien peut nourrir les affamés, honorer les animaux et sauver la planète. Lierre Keith a cru à ce régime basé essentiellement sur la consommation de végétaux et a été végétalienne pendant vingt ans. Mais, dans Le Mythe végétarien, elle soutient que nous avons été induits en erreur - non pas nos aspirations d'un monde juste et durable - mais par notre ignorance.

La vérité, c'est que l'agriculture agresse perpétuellement la planète et en ajouter davantage ne nous sauvera pas. Inféodés à la culture des céréales annuelles, les êtres humains ont dévasté les prairies et les forêts, mené d'innombrables espèces à l'extinction, modifié le climat et détruit la couche arable - la base même de la vie. Keith soutient que si nous voulons sauver la planète, notre alimentation doit constituer un acte de réparation profond et permanent : elle doit être issue de l'intérieur des communautés vivantes et non leur être imposée.

En partie biographie, ABC nutritionnel et manifeste politique, Le Mythe végétarien mettra au défi tout ce que vous pensiez savoir sur les politiques alimentaires. »

L’ouvrage tient-il ses promesses ?

Tout d’abord, il étonne agréablement par sa structure affirmée avec une décomposition du propos en 5 chapitres, dont trois principaux, qui constituent le cœur de l’ouvrage, décortiquent avec application arguments et incantations selon trois axes : les végétariens éthiques soit la dimension morale, les végétariens politiques et donc militants et enfin les végétariens nutritionnistes.

Le premier chapitre, sorte de longue introduction biographique, évoque le parcours de Lierre Keith, ses motivations et surtout justifie la rédaction de l’ouvrage, dont on sent pertinemment le côté sensible et surtout « peau de banane » d’un tel sujet dans un monde où les consommateurs de protéines animales sont conduits à développer une culpabilité évidente. Comment de fois n’ai-je dit ou entendu : « Oui, je mange de la viande, mais en petites quantités… » On y relève aussi la stupeur générée par des intentions bien pensantes visant à transformer les carnivores domestiques, chiens et chats en l’occurrence, en végétariens et donc le constat affligé que végétarisme et végétalisme sont des courants avant tout urbains, qui méconnaissent la Nature et son fonctionnement, à commencer par la complémentarité, l’équilibre et la régulation des espèces. J’ajouterai à titre personnel, qu’à l’instar de Francis Hallé, j’insiste sur le fait que les végétaux sont tout aussi vivants et respectables, qu’ils communiquent et font même du calcul mental durant la nuit. Pour se nourrir, chacun doit – malheureusement, il est vrai – tuer. Et à la campagne, chaque fois que nous mettons le pied dehors, combien de petites bêtes et d’organismes vivants écrabouillons-nous à chaque foulée ? C’est d’ailleurs un des aspects de ce thème que développe abondamment le chapitre consacré aux arguments moraux. Je me suis d’ailleurs reconnu dans la réflexion de Lierre Keith, lorsque que, confrontée à l’acte de produire, elle prend conscience qu’il lui faut lutter contre les prédateurs, et donc potentiellement tuer. C’est ainsi qu’elle découvre que l’agriculture est hautement destructrice, faisant disparaître des écosystèmes entiers. L’auteur évoque aussi les problèmes posés par les monocultures de plantes annuelles, qui constituent un exemple flagrant de déséquilibre du vivant, que ni le végétalisme, ni le végétarisme ne saurait résoudre.

Au rayon des arguments politiques, l’auteur évoque ces chiffres brandit un peu partout, qui clament le caractère aberrant des élevages en matière de gaspillage de ressources. Or, ces chiffres correspondent à la réalité de l’élevage industriel et non à celle de l’élevage tout court. De quoi a besoin un herbivore pour se nourrir rappelle Lierre Keith ? D’herbe et donc de pâtures, et certainement pas de soja et de maïs, souvent OGM et hautement consommateurs de ressources, qui d’ailleurs rendent les animaux malades. À l’instar du riche documentaire Food Inc, (les alimenteurs en français, disponible sur le Net), l’auteur prend ici la peine d’expliquer l’origine de la nocivité de la viande rouge : des conditions d’élevage effroyables et surtout une alimentation contre nature qui rend les bovins malades et porteurs de bactéries et germes, dont certains hautement pathogènes comme l’E. Coli. Pas de problème, une décontamination de la viande suffit à l’envoyer comme comestible dans les plus grandes chaînes de distribution.

Enfin viennent les arguments nutritionnels et pour asseoir son propos, Lierre Keith s’appuie notamment abondamment sur les recherches et observations de Weston Price, ce dentiste américain qui entreprit un tour du monde des peuplades autochtones pour étudier leur état sanitaire, mis en parallèle avec leur mode alimentaire. Se faisant, il avait révélé les grandes capacités d’adaptation de l’homme aux ressources de son environnement et montré combien l’introduction des aliments modernes (sucre et farine raffinés en particulier, avait constitué un facteur de dégénérescence nette et rapide et que les peuples en meilleure santé, intégraient tous des produits d’origine animale dans leur diète (ce qu’a d’ailleurs conforté la véritable étude chinoise, et non le résumé biaisé de Colin Campbell). L’auteur s’attarde aussi longuement sur le rôle positif du cholestérol, les méfaits de l’hypothèse lipidique (celle qui visait à diaboliser les graisses, notamment saturées)  et aussi la dépendance aux glucides et aux dérivés opiacées des céréales, très sensible, chez les végétariens et végétaliens.

Le 5e et dernier chapitre, intitulé « pour sauver le monde »,  pose, au fil d’une réflexion sur nos habitudes et attachements, des principes de base pour revenir à un équilibre global du vivant sur Terre, qui évoque le refus du fascisme, qu’elle qu’en soit la forme, et donc l’avènement d’une nouvelle culture pleinement consciente et responsable.

Ce que j’en pense

J’ai visionné récemment avec un œil amusé, mais j’avoue quelque peu agacé, l’un de ces documentaires (et pas le meilleur, loin s’en faut) diffusé par un grand média québécois et qui se voit amplement relayé par des sites crudivores végétaliens comme la preuve irréfutable de la nocivité de la consommation de viande. Ainsi, « La face cachée de la viande » s’acharne à révéler l’horreur des élevages, horreur somme toute évidente. Mais le pire, ce sont les amalgames et raccourcis clavier jouant sur le pathos et la peur (un principe bien connu), comme par exemple confondre « consommation de produits animaux » et « excès de consommation de viande rouge », sans expliquer pourquoi la viande rouge industrielle est devenue effectivement très nocive. Pour crédibiliser son propos, « La face cachée de la viande » convoque quelques pontes de la médecine et notamment Richard Béliveau, bien connu pour ses recherches (très intéressantes au demeurant) et ouvrages de vulgarisation sur les aliments anti-cancer. Sauf que sieur Béliveau, dans l’une de ses nombreuses chroniques publiées par un quotidien québécois, n’hésitait pas, il y a peu, à cautionner l’élevage québécois comme hautement respectueux, disqualifiant au passage les efforts des éleveurs bio dont les produits jugés trop chers. Pensez-vous, des élevages de porcs qui comptent en moyenne 1700 bêtes, voici bel et bien des fermes à échelle humaine… en comparaison des USA où la moyenne avoisine les 5000… Et lorsqu’il évoque le végétarisme dans les sociétés traditionnelles, il apparaît très nettement qu’il méconnaît le sujet. Nul n’est parfait…

Tout ceci au final pour dire que non seulement j’ai apprécié la lecture de l’ouvrage de Lierre Keith, mais que je vous la recommande chaudement, non pas pour vous convaincre de quoi que ce soit – et surtout pas de céder à un excès de viande -, mais pour éclairer votre lanterne et nourrir votre approche, avec pour seuls mots d’ordre : le boycott de l’agriculture et de l’élevage industriels, et le choix de la qualité, du respect et de la modération. Si, comme le disait Rudolf Steiner, l’homme est porté à devenir végétarien à condition d’être bien portant, restons conscients que nous sommes tous, peu ou prou, malades dans un monde malade pour causes de déséquilibre global. Là est le véritable cheval de bataille. Et tout ceci m’évoque une nouvelle fois le travail de Rudolf Steiner, pour mémoire initiateur de la biodynamie qui, dans son cours aux agriculteurs (que soit remercié ici notre ami Pierre Masson pour son éclairage et pour nous avoir offert cet ouvrage incontournable, consultable d’ailleurs dans la bibliothèque d’ana’chronique) développe la notion d’organisme agricole appliqué à la ferme, soit un ensemble vivant où chaque règne occupe sa juste place et s’équilibre par rapport aux autres. Aux antipodes en somme des spécialisations intensives.

 

Pour aller plus loin

• Le mythe végétarien, nourriture, justice et pérennité, Lierre Keith, éditions Pilule rouge (www.pilulerouge.com), 2013 pour la version française

• Les chroniques de Richard Béliveau http://www.richardbeliveau.org/chroniques-prevention.html